L’Histoire d’un cheval au coeur de la ville

À le voir ainsi au cœur de la place des Charmilles, ce Cheval, on croirait que toute la place, les bâtiments -peut-être même la ville entière-, ont été construits autour de lui et qu’il est à Aytré le centre de toutes choses. Il n’en est rien, mais ce cœur que l’on désignait alors comme celui d’un village, la commune avait décidé d’en faire une vraie place au centre d’une vraie ville, ornée de sa sculpture monumentale.

Dans le magazine ” Aytré Savoir ” (ancêtre du magazine ” Contacts “), on lit en 1986 qu’à l’emplacement de l’ancien stade, près de la mairie, il y aurait bientôt un bureau de poste. On vérifie aujourd’hui que ce fut bien le cas et que les courts de tennis ont disparu.

Il y avait aussi un long mur bordant cette parcelle. Il fallait qu’il tombe car au-delà de la poste, l’équipe municipale emmenée par Jean-Claude Parage avait dessiné un plus vaste projet d’urbanisme destiné aux activités administratives, commerciales et artisanales.

Avant démolition, la Ville avait invité les habitants à venir peindre et librement s’exprimer sur ce mur.

En septembre 1987, la place des Charmilles prit forme. Restait un emplacement central circulaire à aménager avec un point d’interrogation monumental : que faire ici ?

Un concours fut lancé par la municipalité en direction des aytrésiens sous le libellé « A Aytré, nous faisons la ville à notre idée ». L’imagination a galopé mais pas aussi vite qu’un cheval. Le maire qualifia même la participation de “fiasco“, et devint donc plus ambitieux, comme le sont rarement les villes de cette taille, en lançant un appel à projets en avril 1988, cette fois pour atteindre un artiste de renom. Les attentes municipales étaient clairement énoncées : affirmer le lieu comme centre ville ; intégrer l’oeuvre à l’urbanisme ; s’imprégner des spécificités géographiques et historiques de la ville ; dresser une esquisse perspective de l’oeuvre dans son environnement. « Les projets intégrant l’élément “eau“ seront particulièrement appréciés » fut-il précisé.

« Je rouille pour vous »

Les délais de réalisation furent fixés à 6 mois, l’enveloppe budgétaire à 700 000 francs.

Le 4 mai 1988, Christian Renonciat était choisi pour la qualité de sa réponse à la demande et l’originalité de sa proposition intégrant le dénivelé de la place interprété comme un terrain de fouilles ; la légende de la Bête de Rô ; le passé archéologique ; la présence viking ; les échouages de navire ; le siège de La Rochelle ; l’eau et le jeu du ciel qui s’y baignent. Ce sera donc un vaisseau-cheval.

Les aytrésiens en auront une première approche en visitant l’exposition des maquettes et des plans à la bibliothèque durant l’été 88. Le calendrier fut tenu et le 27 décembre une grue déposait sur la carcasse déjà en place l’encolure et la tête. Le Cheval était inauguré et découvert en fanfare le 21 janvier 1989 avec Christian Renonciat chevauchant sa création aux yeux d’une foule ravie. Le tout nimbé d’une brume qui, au colossal, ajouta sa part de chimérique et de rêve.

Ce jour-là, on tressa des discours à l’auteur qui fit son entrée dans l’Ordre des Chevaliers d’Aytré et à sa sculpture qui entra définitivement dans Aytré. On la toisa, on la pesa : 3,90 m de haut, 6,80 de long, 25 tonnes de fonte. Non sans humour, le maire d’alors avait fait poser sur la sculpture un écriteau “Je rouille pour vous“ : il avait été convenu que par oxydation naturelle on lui donnerait la patine d’une peau corrodée.

Figure de proue sur un champ de fouilles, le cheval d’Aytré a déjà traversé 30 ans. Il est devenu l’inoxydable symbole d’identification de la ville, comme un signal, un lieu de rendez-vous où chacun se retrouve.

Christian Renonciat, auteur du Cheval, art-chéologue

Question : De quelle manière s’est nouée la relation entre vous et la Ville d’Aytré ? Quels ont été les termes de la commande et de quelle manière a surgi ce “cheval“ dans votre esprit et sous votre main ?

Réponse : Le maire voulait une “tour Eiffel” pour Aytré, c’est-à-dire une image d’identification. Quand j’ai commencé à travailler, j’ai étudié l’esprit des lieux. J’y ai trouvé la trace d’une légende ancienne mentionnant dans une grotte une bête Rô plus ou moins inquiétante, mais aussi un habitat viking documenté par des fouilles antérieures. Enfin le siège de La Rochelle pendant lequel Richelieu habitait un château à Aytré. Tout ça m’a conduit à imaginer une fouille à ciel ouvert où l’on découvre non pas une épave mais le vestige extraordinairement conservé d’un navire ancien* à tête de cheval. Car je me suis souvenu que les vikings, rentrant chez eux, remplaçaient le dragon de la proue de leur drakkar par une tête de cheval, image protectrice.

En vérité, le corps est celui d’un cheval mais construit comme un navire, avec étrave, couples et bordés. Les pieux de barrage émergés sur la place rappellent le siège de Richelieu et cette évocation du cheval fait aussi écho à la perte d’un bateau pendant le siège avec 400 chevaux à son bord.

La “fouille“ montre donc un défoncement du sol bitumé de la place. On découvre sur le bord une structure de charpente. Le reste est bordé de “planches“ (en fonte d’acier) et l’ensemble paraît inondé. C’est un condensé d’histoire locale et de l’esprit du lieu.

Q : Cette oeuvre monumentale, figurative, est assez éloignée de votre travail d’atelier qui repose sur une matière très hyperréaliste au service d’une représentation parfois très abstraite. D’où vient cette double possibilité d’exploration ?

R : Rien à voir, en effet. C’est que dans les années 80, j’ai parallèlement à cette activité mené une sorte de second métier, la commande monumentale. J’ai mis en oeuvre une autre démarche, avec d’autres techniques.

Q : Pour ce cheval, quelle technique, justement ?

R : J’ai réalisé les modèles de fonderie en taille réelle, taillés dans un polystyrène spécial, perdus à la coulée de la fonte d’acier (fonderie Salin à St-Dizier). Il y a environ 25 tonnes de fonte sur ce site.

Q : Etes-vous revenu à Aytré depuis l’installation en 89 ?

R : Oui, je suis passé quelquefois à Aytré, retrouvant tout à fait ce que j’y avais mis.

* On pense à la Marie-Rose, navire du XVIe siècle repêché dans les années 80 et conservé à Portsmouth en Angleterre

Ils se souviennent …

Le droit à l’art des aytrésiens

Le projet de la place terminé, restait ce grand trou. Nous nous sommes posés la question de savoir quoi réaliser. Ce que nous voulions nous ne le savions pas bien, mais ce que nous savions c’est que nous ne voulions pas de fontaine “pissette” qui arrose ces aménagements de places comme on en voit un peu partout. Aytré avait un cœur mais il manquait une âme. Alors nous est venue l‘idée de Christian Renonciat que nous avions découvert lors d’une exposition à la Maison de la Culture et dont les œuvres avaient étonné La Rochelle.

Tels sont les souvenirs de Jean-Claude Parage collectés quelques temps après l’installation du cheval dans le film-reportage réalisé par Yves-Antoine Judde.

Pour le maire d’alors, il s’agissait de poser au cœur de sa ville un acte fort signifiant que celle-ci, bien que modeste avait, comme d’autres communes, droit à l’embellissement : « Les habitants d’Aytré sont capables de poser leurs yeux sur une oeuvre d’art, de l’admirer et d’y prendre plaisir ».

À cheval Bartabas !

Il faut d’abord souligner que c’est Jean-Claude Parage qui est le père du Cheval et qu’il a été installé en pleine campagne municipale à l’issue de laquelle j’ai été élu sans que cela suscite ni excès ni outrance. Je pense que cela montre combien l’oeuvre a fait l’unanimité. C’est une sculpture moderne mais figurative et immédiatement lisible par tous. Renonciat a parfaitement répondu à ce que l’on voulait, à ce qu’on souhaitait et avec beaucoup d’élégance. Son intelligence, en plus, c’est d’avoir posé son cheval de manière à ce qu’on le mérite un peu. Je veux dire par là qu’il ne l’a pas disposé face à la rue comme n’importe quelle statue équestre. On le voit mais il faut aller le découvrir. Je pense qu’il y a une certaine fierté des Aytrésiens qui se le sont rapidement approprié d’autant plus que peu de collectivités investissent dans ce type d’oeuvre d’art. Aytré n’est pas une ville du cheval mais celui-ci en est devenu le symbole et je le mets en relation avec le cirque Zingaro que nous avons reçu à cinq reprises dans le parc Jean Macé. A l’une de ces occasions, Bartabas s’était amusé à grimper sur l’encolure du cheval de Renonciat (comme Renonciat lui même le jour de l’inauguration). J’en garde la photo en souvenir !

« Ils n’ont pas trouvé tous les os ! »

Le Cheval a été installé l’année de mon élection, je n’étais donc pas en prise directe avec l’événement. Mais ce qui m’a plu c’est la réaction des gens. J’ai deux anecdotes qui montrent combien il a été adopté par la population presque immédiatement.

Un soir, environ un mois et demi après l’installation, je quittais mon bureau vers 19h et j’entends deux femmes de service qui en parlaient. Je demande : « Il vous plaît, ce cheval ? ». Celle qui travaillait tôt le matin et tard le soir, me répond, « Moi, il me plaît. Depuis qu’il est là, je me sens moins seule dans la mairie ». A travers la parole de cette femme, j’ai senti que l’oeuvre habitait déjà ce lieu. J’ai trouvé ça très beau.

L’autre anecdote, c’est lorsque, étant institutrice, j’ai amené mes élèves de CP devant la statue. Tous étaient troublés par l’aspect inachevé et l’un a dit ceci : « Le cheval, il n’est pas fini parce qu’ils n’ont pas trouvé tous les os ! »

La seule réaction négative, mais amusante, que j’ai entendue, concerne le traitement car nous avons volontairement laissée s’oxyder la sculpture avant de bloquer le processus : « Pour le prix, ils auraient pu enlever la rouille ! » Pour moi c’est une oeuvre très évocatrice de notre région et de la personnalité de Renonciat : l’idée des échouages de bateaux sur la côte, le fait qu’il était un amoureux des chevaux, et qu’il était un intellectuel capable d’exprimer des émotions très profondes.

Derrière la sculpture…

Question : Quel fut l’enjeu de la réalisation de ce film ?

Réponse : C’était une commande de la mairie par l’intermédiaire d’Alain Blancher qui était animateur socio-culturel. Ils voulaient un film sur le travail du sculpteur. C’était important pour une commune, le choix de faire appel à un artiste de renom mais ce n’était pas un projet facile et il fallait que la population y adhère. Le film était donc destiné aux habitants et au grand public afin de tout savoir des étapes qu’il y avait derrière la sculpture. Il fallait montrer le travail caché. L’idée supplémentaire consistait à bien montrer aussi l’ancrage local de l’inspiration de Renonciat.

Q : Vous avez vous-même opéré des choix esthétiques entre documentaire et récit fantastique…

R : Oui, il y a à la fois le documentaire et la part historique et imaginaire locale, cela tout en répondant au cahier des charges du commanditaire. J’ajoute que pour la musique du film, Alain Blancher avait fait acheter un instrumentarium de percussions contemporaines qui ont été jouées par les enfants. C’était une manière de les associer au projet et, indirectement, d’y associer les parents.

Q : Quelle a été la vie de votre film ?

R : Il y a eu plusieurs projections sur place puis il a circulé dans les médiathèques. En 1989 il a reçu la mention du Meilleur reportage au festival international du film d’art de l’UNESCO. C’est un film qui m’a porté bonheur car il a marqué le début de ma carrière et j’ai ensuite continué à travailler avec Renonciat.

Le cheval vu d’en haut …

Il y a ceux qui regardaient et ceux qui ont fait. Jean-Luc Pouponnot était aux commandes de sa grue pour installer ce cheval d’airain devenu cher aux aytrésiens. Nicole, sa femme, se souvient.

Munie d’un appareil jetable comme on en faisait à l’époque, Nicole a suivi les avancées du chantier sur lequel travaillait son mari. Des photos retrouvées dans un carton et racontant la mise en place de cette sculpture gigantesque sur la Place des Charmilles où s’attardaient alors les passants. « Je suis venue tous les jours, du début jusqu’à la fin, c’était très impressionnant et cela a été une grande fierté pour toute la famille, on en parlait beaucoup et les enfants disaient c’est papa ! », se souvient Nicole avec émotion. Un vaste chantier au milieu duquel la grue conduite par Jean-Luc Pouponnot était non seulement la pièce maîtresse de cette installation mais le savoir-faire d’un seul homme travaillant dans les airs et au millimètre près tout en haut de son grand bras de fer. « Mon mari travaillait alors pour Alpha Levage… c’était un homme très doux qui adorait son métier. Il a fait de très belles choses comme la pose de la pointe du clocher de Marans ou encore les ponts de Ré et d’Oléron … tous ces chantiers ont marqué sa vie », raconte amoureusement Nicole qui est aujourd’hui l’heureuse grand-mère de 19 petits enfants à leur tour héritiers de cette belle mémoire familiale.

Août 2019.